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Le blog du pasteur

23 mars 2008

Les Chtis et les élections

L’autre soir le nouveau conseil municipal du bourg où j’habite a élu sa maire et ses adjoints. Le premier adjoint est en charge de la culture. Non comme on s’y serait logiquement attendu en charge des questions économiques et délégué à la communauté de communes. Non ! Chargé de la culture !

 Je voudrais rapprocher cette situation du succès inattendu que connaît le film de Dany Boon. Etant moi-même natif du nord, je mesure à quel point le film est un catalogue d’aimables clichés fourrant dans le même sac images des Flandres et images de l’ancien bassin minier. Personne ne m’a jamais appelé « biloute » et le patois était plutôt signe d’arriération culturelle du temps de ma jeunesse. Si la solidarité et l’entraide furent réelles dans les milieux ouvriers de la période industrielle, elles n’exclurent cependant pas quelques considérations peu aimables vis-à-vis, par exemple, des Polak, les Polonais immigrés d’alors, et leur alcoolisme supposé. Mais de toutes façon, tout cela est du passé, quand bien même le film le présente comme un trait de culture actuelle. Le Nord a bien changé et c’est une réalité mythique qui nous est présentée.

 Alors, d’où procède le succès, bien au-delà des gens du Nord et jusqu’à Montélimar, et quel rapport avec le nouveau conseil municipal du bourg où je réside ? Je voudrais formuler l’hypothèse que dans les deux cas il est question d’anomie et de territoire.

 C’est un truisme que de dire que les inégalités sociales s’accroissent, que le tissu social se défait, et que les grandes idéologies qui surdéterminaient jadis la vision du monde et les comportements ont fait long feu. Il n’est que de suivre l’actualité judiciaire (Voir la différence de traitement de Jérôme Kerviel et de Didier Gauthier Sauvagnac où les errements persistants du parti socialiste, pour s’en tenir à ces deux seuls exemples). On retrouve le constat déjà formulé sur ce blog : les gens sont dans le manque de repères, la quête d’un imaginaire qui permette le vivre ensemble. C’est, je crois, un des ressorts du succès du film bien au-delà du Nord : il fournit, sur le mode mythique et nostalgique, un monde référentiel perdu dont on aurait tous, par sa naïveté et son humanité, la nostalgie. Sauf que la réalité est toute autre.

 Le second point sur lequel je voudrais mettre l’accent concerne la notion de territoire. Le Nord est assez bien circonscrit, typé culturellement, et le metteur en scène « en a rajouté » en faisant tomber des seaux d’eau sur la voiture du postier au passage du panneau indiquant l’entrée dans la région Nord Pas de Calais. Et un leit motiv du film est bien « Nous aut’ din ch’nord… ». Ce ressort territorial est le contenant des contenus, si j’ose dire. L’imaginaire social est aussi un imaginaire territorial et l’expression d’un besoin de ré enracinement. Du point de vue de la temporalité de l’évolution des espèces, l’homme reste un primate territorial. Or, ça bouge. Plus de deux millions de déménagements (petits ou grands) chaque année en France.

 Ces éléments se retrouvent de manière analogue dans le bourg où j’habite. Le poids politique des retraités aisés va croissant, parallèlement à l’accroissement de l’écart de revenus avec les générations suivantes d’actifs. Ces retraités sont pour partie des enfants du pays ayant fait carrière (souvent dans la fonction publique) à la faveur des trente glorieuses. Mais ce sont aussi des nouveaux venus guidés par le soleil. Du coup, ils font grimper le prix des logements pour les pauvres du pays. Par ailleurs, le recensement de 2004 signalait que 25% des habitants n’étaient pas encore là cinq ans auparavant. Comme le chiffre de la population augmente, mais pas à ce rythme, cela veut dire qu’il y a un fort turn over de population. Notamment, mais pas seulement, parmi les pauvres, jeunes et « naufragés de la ville » qui tentent une improbable implantation avant de s’en aller… Mais dont la masse, flottante et en renouvellement permanent, est une constante de la vie sociale. Et tous ces types de population stratifient sans se mélanger vraiment.

 On a vu paraître ces dernières années nombres d’articles et plusieurs livres sur l’histoire locale. Les hauts faits d’accueil des persécutés d’Espagne, d’Italie et d’Allemagne, juifs en particulier, y sont célébrés et les faits de résistance soigneusement mémorisés. Nombre de protagonistes sont certes en train de disparaître. Certes un état d’esprit de résistance et d’accueil des minorités persécutées, venu du fond de l’inconscient et de l’histoire des protestants, ressurgit alors, mais nous n’étions tout de même pas en « zone interdite » quadrillée par

la Gestapo

…Toute une série d’universitaires en retraite, s’abandonnent à cette page d’histoire locale. Je serais assez tenté de voir dans ce mouvement, le pendant local du film de Dany Boon. Quand bien même le travail des historiens est autre : passer justement du mythe et de la mémoire, à l’histoire. Mais hors ces quelques « savants », c’est comme mythe plus ou moins (re)fondateur que cette période fonctionne dans l’imaginaire d’une partie des « locaux ».

 Le fait de faire coïncider le statut de premier adjoint et la charge de la culture reçoit alors un début d’explication. Il traduit le vide en matière « d’institution imaginaire » de la société locale. Pour toute réponse aujourd’hui, il y a le passé mythifié.

 C’est sans doute bien insuffisant et illusoire, quand la vraie question est celle-ci : selon quelles modalités rechercher la cohésion sociale et donner une place reconnue à chacun par delà les différences de revenus et de culture ? Une question encore maîtrisable à l’échelle d’un bourg. A la condition d’innover en matière de vie politique et de rompre avec les approches idéologiques héritées de la modernité. Vu le poids des retraités, pas sûr que ça marche…


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20 février 2008

L'ambiguïté des droits de l'homme

 

Se posant en victimes et se drapant dans les droits de l’homme, une multitude de groupes sociaux revendiquent des droits particuliers et ont entrepris une course à la prééminence dans l’espace public et l’imaginaire social.

Droits des victimes, droits des femmes, des homosexuels, des sans papiers, des handicapés, des mal logés, des victimes de la route…Prochainement droits des unijambistes gauchers et au terme de cet éclatement du corps social, droits de ceux à qui l’on aura bien du mal à dire : vous charriez avec la charia…

Le développement de ces tribus virtuelles participe, avec le creusement des inégalités et la déréliction de l’Etat, à la dissolution lente mais profonde de

la France

comme nation.

A ce dévoiement des droits de l’homme et du citoyen, qui eut sa pertinence contre l’absolutisme monarchique et la pensée unique de l’Eglise, et déboucha sur une déclaration universelle –et non une sommation de particularismes- je répondrai tranquillement qu’ils sont devenus une galéjade et que l’homme n’a aucun droit.

Dieu seul a des droits. L’homme n’a que des devoirs. Et le premier, et le seul, est de répondre à la réquisition éthique d’avoir à faire ce qu’il faut pour qu’autrui vive. Cela crée une liberté d’invention et une responsabilité politique sans fin qui commence dans l’esprit de chacun.

Liberté d’invention. Les partis politiques doivent partir des situations concrètes et les mettre en séquences discursives et en narrativité historique de manière synthétique, dans une analyse du phénomène social global qu’il convient alors de confronter à des valeurs, en tentant de se distancier des idéologies et des représentations qui nécessairement nous habitent. Or, pour l’heure, la gauche est autiste et se réduit au parti des fonctionnaires se déchirant sur des querelles idéologiques byzantines. La droite a bien mieux saisi les évolutions, mais elle « enfume » littéralement l’opinion publique avec une « rupture » en trompe l’œil. Mais au fond, par delà la rhétorique politicienne, les deux ont la nostalgie de l’Etat omnipotent et une fascination pour l’hyperbourgeoisie.

Responsabilité politique. Analyse, mise en profondeur historique, distanciation, synthèse, valeurs, autant de termes auxquels il faudrait ajouter projet global, utopie et espérance. Voilà des concepts que l’on aimerait voir être pensés et se déployer.

Ce devrait être le rôle du christianisme que d’encourager la société à cesser de marcher ainsi sur la tête pour se remettre sur ses pieds. Construire plus avant une philosophie morale, l’accompagner en philosophie politique qui fasse la part entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Or, à bien des égards, ses institutions représentatives, les églises, se mettent plutôt à la remorque de l’air du temps, oscillant entre un conservatisme nostalgique et une participation aux discours dissolvants.

On n’imagine que trop bien l’aboutissement de ce processus de dissolution : l’attente d’une société qui retrouve un ordre. L’attente d’un ordre et la propension à la soumission nous caractérisent. Car d’un point de vue anthropologique nous restons des primates incapables de survivre sans hiérarchie sociale. Mais un ordre qui ne fasse plus l’objet d’un consensus et ne prévoie plus les modalités de sa conflictualité pour être au contraire l’ordre des plus forts n’est pas la meilleure chose qui puisse arriver.

 

 

1 décembre 2007

A propos des émeutes de Villiers Le Bel

On ne s’est pas assez intéressé aux réactions premières des autorités face aux échauffourées. Or elles traduisent désarroi et impuissance. Un responsable policier a ainsi regretté de ne pouvoir se livrer à des « frappes chirurgicales ». Ce passage au langage militaire est aussi stupide qu’inquiétant. Faut-il lui rappeler qu’il existe des lois et des règles de procédure ? Semblablement notre omniprésident parla de traduire les auteurs de coups de feu en cour d’assise. Faut-il lui rappeler que cela suppose la préméditation et l’échec de la tentative, que cela relève de l’appréciation du juge et qu’il bafoue par ses propos le principe de la séparation des pouvoirs. Tel représentant de syndicat de police parle systématiquement de « délinquants » à propos des émeutiers. Or, ceux qui se font prendre à la suite des émeutes sont le plus souvent inconnus des services de police. Enfin, et pour ne pas allonger la liste, on vit MAM se donner en spectacle par son aigreur et sa virulence.

 

Ces émeutes, que faute de mieux j’appellerai pour l’instant des « Jacqueries », par analogie avec les révoltes de paysans du Moyen Age, sont un phénomène complexe par l’échec qu’elles signent d’une pluralité d’acteurs défaillants. C’est sur l’analyse de la complexité et sur l’action sur une situation complexe que je voudrais dire quelques mots.

 

Dans sa Grammaire des civilisations, Braudel consacre un chapitre à la définition de cette notion complexe. Il l’entoure d’une série d’approches géographique, historique, religieuse, économique…Ce faisant, il illustre assez bien la démarche à suivre. Mettre ensemble une pluralité de regards, pour nous ceux des acteurs concernés, et se livrer à une critique transversale des chaînes classificatoires et des idéologies qui peuvent les traverser. Et savoir être modeste : un nouvel acteur ou un nouveau regard sur un aspect jusque là ignoré peut surgir : la réalité est non totalisable et nous échappera toujours.

 

Dans le cas d’espèce, nous sommes à la fois dans le trop et le pas assez. Trop de rapports, soutenables de leur point de vue, par un certain nombre d’acteurs et maintes fois répétés. Et dans le pas assez de la transversalité et de la pluralité des regards, notamment pour mettre en perspective et modéliser la complexité, seule manière d’agir efficacement, c'est-à-dire de manière synergiste et en analysant et critiquant la temporalité différentielle des acteurs. Dans ce domaine, nous sommes dans le pas assez.

 

Car ce manque est le miroir de l’atomisation de l’action. De multiples services de l’Etat, incapables de travailler ensemble, chacun ayant son pré carré, sa temporalité interne ; semblablement les collectivités territoriales qui ont par ailleurs leurs logiques politiques…Leur point commun : la volonté de tenir à l’écart les associations et les acteurs de terrain de la société civile. Imagine-t-on en effet que la vérité puisse légitimement venir d’ailleurs que du clergé de la nation et de ses décalques territoriaux… ? Et si en plus il s’agit majoritairement d’immigrés ou de fils d’immigrés que l’on ne veut pas voir et qui ne votent pas…D’où les échecs récurrents de la politique de la ville, avec ses chevauchements de compétences, ses procédures complexes, la déperdition d’énergie et d’argent, l’illisibilité pour les citoyens concernés et parfois les acteurs institutionnels eux-mêmes. En un mot : les synergies nécessaires ne se développent pas et l’action ne s’inscrit pas dans la longue durée qui devrait être la sienne.

 

En fait, la constitution de banlieues de relégation est une maladie opportuniste d’une pathologie plus profonde qui affecte l’Etat. Il est, sauf à prendre son parti d’une guerre sociale à bas bruit, d’une attitude purement réactive aux évènements, de rodomontades médiatiques simultanément compassionnelles et répressives, urgent de redéfinir les missions de l’Etat, ses méthodes de travail et du coup ses effectifs.

 

De ce point de vue, le président qui se veut homme de rupture est en réalité très en deçà.

 

 

 

 

18 septembre 2007

Monsieur Kouchner et l'Iran

L’apocalyptique est une composante de l’imaginaire tant chrétien que musulman A ce titre, comme à bien d’autres, et quoi qu’ils en disent, les pays de culture musulmane cousinent avec l’Occident. Enracinées dans l’apocalyptique messianique juive, la théologie des uns attend le retour du Christ comme la théologie des autres attend celle du Mahdi.

 

L’apocalyptique est fille du prophétisme biblique et de son attente de justice sociale. Elle est aussi fille de

la Sagesse

de l’Orient et de sa méditation sur la grandeur et la décadence des empires. A ce double titre, elle décrit un état idéal, céleste et théocratique, de la société et du monde, dont elle soupire après l’advenue. « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » explicite le Notre Père. L’apocalyptique structure la conception du temps des trois religions. Il n’est plus ni amorphe ni cyclique, mais doté d’une tension qui donne sens à l’histoire.

 

Le christianisme connaît une apocalyptique dont les traits principaux sont

la Parousie

(le retour du Christ), précédée de guerres et de conflits qui rassembleront les nations à Harmaguédon, le règne des mille ans, l’Antéchrist, le jugement dernier. La plupart du temps, notre rapport à l’apocalyptique et ses composantes est passif. La référence à la fin des temps est certes inscrite dans le credo : « Il viendra de là pour juger les vivants et les morts ». Mais nous ne sommes pas pressés…

 

Cependant, il existe des « moments apocalyptiques ». Quand le sentiment de l’oppression, culturelle, politique et économique, est tel que l’agressivité consubstantielle à l’homme ne peut plus s’exercer sur son environnement pour le transformer, l’agressivité se mue en violence, une violence aveugle, contre soi même, contre les autres et contre le monde. Dans le même temps, une institution imaginaire d’un monde autre, surgissant des décombres de l’ancien, nourrie de transcendance divine, se répand. Les scénarios apocalyptiques deviennent le cadre interprétatif des événements historiques. Quand ils arrivent à maturité, les moments apocalyptiques sont toujours d’une violence extrême, sans sortie possible par la négociation. Ils sont de nature totalitaire. L’affrontement est inexpiable.

 

Le christianisme connaît l’Apocalypse de Jean, avec sa protestation cryptée. Elle décrit Ephèse, parle symboliquement de le Grande Babylone pour viser Rome. Elle décrit un scénario de la victoire des justes et de la fin des temps.

 

Quand Luther revient écœuré de son voyage à Rome, il parle de Rome comme de

la Grande Babylone

et du Pape comme de l’Antéchrist.  Par ailleurs,

la Réforme

radicale représente un tel moment, avec Thomas Müntzer et la guerre des paysans, ou Jean de Leyde ou Melchior Hoffmann et la révolte du petit peuple des villes contre le patriciat urbain.

 

De manière plus passive, la mouvance évangélique a remis en selle une vision apocalyptique de l’histoire. La traduction de

la Bible

de Darby, puis les commentaires de Scoffield, au milieu du XIX ème siècle, ont réintroduit une vision téléologique de l’histoire, périodisée en « dispensations ». Il convient de repérer dans quelle dispensation l’on se trouve, par rapport à une marche de l’histoire activement engagée dans la fin des temps.  Le grand héritage de ce courant est moins en Europe qu’aux Etats Unis où la mouvance évangélique est puissante. Il s’agit des « chrétiens sionistes », puissant lobby et soutien inconditionnel d’Israël, car la reconstitution de l’Etat d’Israël s’inscrit dans le scénario de la fin des temps.

 

De son côté, au XX ème siècle, l’Europe a connu des messianismes sécularisés, de la rédemption du monde par la classe ouvrière à la victoire de la race aryenne et l’instauration du Reich des mille ans. On sait ce qu’il en advint. Ainsi, l’apocalyptique est une composante structurante de l’institution imaginaire de l’Occident, jusque dans ses visions sécularistes, voire antichrétiennes. C’est un héritage de l’Ancien Testament qui vaut aussi pour son autre héritier, l’Islam.

 

***

Le Coran ne dit presque rien de la fin du monde. Par contre, les hadiths ou propos du Prophète, regorgent de notations. Mahomet a expliqué lui même à ses disciples qu’il développait une vision de la fin des temps inspirée de celle des chrétiens. Cependant, les hadith sur l’eschatologie constituent une somme de notations qui n’ont pas été mises en séquence narrative, contrairement au christianisme. Chaque secte de l’islam, dans le sunnisme comme dans le chiisme, a développé ses variantes eschatologiques. Si la figure du Mahdi est centrale, les autres aspects connaissent une grande variabilité.

 

Au jour du jugement Allah ressuscitera les morts et accueillera les fidèles en Paradis, tandis qu’il enverra mécréants et infidèles en enfer. Certains disciples proches du Prophète pensaient même que la fin du monde arriverait de leur vivant. Les hadith évoquent une figure messianique, le Mahdi. Sa venue précédera le retour du Christ sur la terre. Ce dernier combattra l’Antéchrist. Jésus et le Mahdi cohabiteront un certain temps avant le décès du premier, rendu à sa nature humaine et converti à la foi musulmane, ultime étape de

la Révélation. Le

Mahdi sera un descendant du Prophète.

 

Les hadith évoquent encore pêle-mêle : la bête qui monte de l’abîme, Gog et Magog, anges et trompettes, guerres et fléaux…

 

On sait que le schisme chiite naquit de la guerre de succession dans la famille de Mahomet. Mouvement opprimé, le chiisme allait développer des particularités relatives à la fin des temps. Pour la majorité des chiites, dits duodécimains, le douzième imam, « occulté », c’est à dire disparu, en 874 doit revenir sur terre et précéder le Mahdi. Il reviendra dans une période particulièrement troublée et marquée d’un certain nombre de signes. Pour les chiites ismaéliens, minoritaires, cet imam, lui aussi disparu, mais un siècle plus tôt, n’est pas le douzième, mais le septième. Il est le Mahdi lui-même dont ils attendent le retour.

 

Il convient de replacer ces scénarios dans la logique générale de l’islam, qui est très différente de la logique du christianisme. Comme le christianisme, l’islam a vocation à devenir universel. Mais il l’a été sur le mode de la conquête. Il ne s’agit pas, comme dans le christianisme de prêcher, pacifiquement, l’Evangile jusqu’aux extrémités du monde, mais de conquérir le monde pour lui imposer l’islam. A la fin des temps, les chrétiens auront le choix entre la conversion ou la mort. Pour les Juifs, (et cette position résulte d’un refus essuyé par Mahomet de voir les tribus juives d’Arabie se convertir à la nouvelle religion), c’est l’extermination. Le Prophète en donna d’ailleurs une illustration prémonitoire par les massacres qu’il ordonna après la victoire du puits de Badr et par la suite. Et tel hadith rend compte du débat qui surgit de savoir par où commencer la conquête Constantinople ou « l’Europe » ? (Bien entendu, comme pour le catholicisme, il convient de distinguer ce qu’enseignent les théologiens et ce que sont, font et pensent les intéressés. Je ne voudrais pas que cet article donne à penser que j’essentialise l’Autre).

 

L’islam a développé une géographie propre, où le monde est divisé en maison de l’islam d’un côté et maison de la guerre de l’autre. A la fin du XIX ème siècle, un sultan et calife ottoman fut déposé pour s’être rendu en voyage officiel en Europe ! De ce point de vue, le monde musulman allait ressentir la présence infidèle comme une humiliation. Les croisades y furent un traumatisme, puis la colonisation. La victoire d’Israël en 1948 est qualifiée de Naqba, catastrophe, inacceptable non seulement à cause du problème des réfugiés qu’elle généra, mais par l’existence même de l’impie en terre d’islam. La victoire d’Israël en 1967, à l’occasion de la guerre des six jours fut à nouveau ressentie comme une terrible humiliation. On se souviendra aussi que la première protestation d’Oussama ben Laden se fit sur le fait de la présence de troupes américaines sur une terre d’islam.

 

Dans les années soixante, les partis et les régimes dits laïcs, échouèrent tout à la fois à transformer les sociétés du monde arabo musulman, et à vaincre Israël, non plus qu’à contrer la domination culturelle et économique de l’Occident. La religion, puis le fondamentalisme islamique devinrent alors le refuge et la consolation des esprits. Or, dans la tradition théologique musulmane, le combat, le djihad, contre soi d’abord, est le lieu de la purification. Des activistes développèrent alors un affrontement asymétrique, non pas d’état à état, mais de partis ayant leur branche militaire, contre l’état, les leurs, ceux des régimes arabes corrompus et despotiques et les états occidentaux. Ce fut le début du terrorisme islamiste. On notera que c’est un terrorisme sans projet politique, uniquement protestataire et destructeur. Difficile alors de négocier quoi que ce soit qui dépasse la police des mœurs.

 

Un certain nombre de symptômes signalent la montée de la fièvre apocalyptique dans des populations paupérisées et dominées. La théorie du complot est le premier symptôme. Le « grand Satan », l’Amérique, et le « petit Satan », Israël, sont à la tête du complot occidental contre l’islam.

 

Le président iranien s’inscrit aujourd’hui dans la vision apocalyptique. Pratiquement jamais sorti d’Iran, ancien responsable parmi les gardiens de la révolution, il est soupçonné dans son pays de faire secrètement partie d’une secte apocalyptique qui pratique l’entrisme dans les institutions mêmes des mollah et de l’état. Ce sont là des causes supplémentaires qui éclairent la composante apocalyptique dans une révolution iranienne dans l’impasse économique et politique, et la répression.

 

C’est pourquoi, il convient de prendre ce monsieur au pied de la lettre quand il fait de l’éradication d’Israël le pivot de sa politique étrangère. L’émergence de l’Iran comme puissance régionale lui assigne une mission particulière dans le cadre du scénario eschatologique. La politique nucléaire s’inscrit dans cette logique. Il n’y a par ailleurs, dans ce cadre aucune validité à attacher aux propos des négociateurs iraniens qui soufflent alternativement le chaud et le froid. Et des sanctions internationales, si elles adviennent, laisseront de marbre des dirigeants iraniens déjà sous embargo américain. Elles serviront d’argument au registre du complot contre l’islam.

 

En fait, c’est à terme une logique de conflagration que développent les nouveaux dirigeants iraniens : préparer le retour de l’imam caché et l’apparition du Mahdi. Le nucléaire en sera l’un des moyens, comme bombe sur un vecteur à longue portée contre Israël, voire l’Europe, ou comme bombe sale du terrorisme. Faute d’intégrer cette logique dans ses rapports avec l’Iran et d’en tirer les conséquences, la « communauté » internationale risque de payer un jour le prix fort.

 

***

La conséquence de cette analyse à partir du fait religieux me semble la suivante. Rejeter la compréhension de ce type de mécanismes psycho sociaux parce qu’ils n’entrent pas dans nos mécanismes de pensée réputés rationnels est une grave erreur de jugement. Nous sommes tentés de la commettre au motif que nous serions des gens rationnels, émancipés de tout fonctionnement de type religieux, et qu’il n’y aurait là qu’obscurantisme passéiste dont nous pourrions faire fi.

 

Une telle précompréhension, un tel préjugé, à l’égard du fonctionnement d’une culture sur le mode d’une religion révélée, nous empêche de comprendre ce qui se passe dans l’ensemble du monde musulman et au Moyen Orient. L’imaginaire de ce monde réactive une apocalyptique qui ici ou là dérive vers un « moment apocalyptique ». L’apocalyptique y devient de plus en plus le cadre de perception des événements et la rhétorique apocalyptique une modalité croissante du discours. D’autant plus que ce monde ignore la distinction entre le religieux et le politique et que les partis laïcs des années soixante ont échoué à le transformer.

 

Dès lors, il conviendrait de cesser de parler de guerre, tout en la préparant, et savoir que s’il faut se résoudre à cette extrémité pour se protéger du risque de l’usage de l’arme nucléaire par un régime insensé (les Israéliens risquent d’ailleurs de ne pas nous attendre pour cela), il faudra frapper très fort et renvoyer l’Iran à l’âge de pierre, assumer la pénurie de pétrole et la prise fait et cause des populations musulmanes partout dans le monde, avec des déstabilisations en chaîne. Cette option, s’il faut s’y résoudre, déclenchera véritablement l’apocalypse, au sens commun du terme. Les sanctions économiques sont la version « très soft » de cette attitude, mais elles sont sans effets sur les dirigeants. Au contraire, elles les renforcent et justifient leur discours sur le complot contre l’islam.

 

La moins mauvaise solution me semble consister dans le fait de considérer l’Iran comme sujet. Recevoir ses dirigeants sans être dupes de leurs discours, multiplier les échanges et tout ce qui frotte positivement ce pays à notre post modernité, faire au mieux pour que le niveau de vie des habitants remonte et aider à la constitution d’une opinion publique pour que les fous au pouvoir ne tirent pas le bénéfice politique des améliorations, et globalement, tenter d’enrayer la course au « moment apocalyptique » dans laquelle nous sommes engagés, car les gens qui ont Dieu avec eux ont encore une particularité : dans ces moments-là, ils sont sourds.

 

C’est pourquoi, monsieur Kouchner, taisez-vous.

27 août 2007

Le glissement du langage, (3)

Comment penser ? C'est à dire : quelle démarche mettre en oeuvre pour interpréter le monde qui nous entoure, lui donner sens en le racontant, pour pouvoir agir sur lui.

A notre niveau d'individus disposant d'une information limitée ou biaisée, je me résoud à la démarche suivante. J'essaie de poser un socle de valeurs. Ce que je constate, ce qu'on m'annonce comme projet est-il de nature à maintenir chacun comme sujet, c'est à dire dans une autonomie matérielle et une capacité relationnelle ? Ou bien accentue-t-on les inégalités ou promeut -on une vision réductrice et essentialisante de l'autre ? Ce que je constate s'inscrit-il dans une vision pluraliste de la société où puissent raisonnablement et sur la base d'un contrat clair vivre ensemble des diversités culturelles et ethniques ? Ce que l'on annonce est-il de nature à conforter la cohésion sociale ou bien la met -elle en question.

Ces valeurs ont un fondement biblique et devraient participer d'une doctrine sociale protestante qu'à vrai dire les protestants ne se sont jamais donné la peine de penser (bien qu'il y ait eu des penseurs protestants) et l'Eglise réformée de promouvoir.

J'essaie encore de me raconter et représenter la société en essayant de percevoir sa globalité et la dialectique entre ses diverses composantes. Ainsi, le financement des retraites et la prise en charge de la dépendance supposent de dégager collectivement des surplus financiers. Ceux ci peuvent provenir de la meilleure compétitivité des entreprises, laquelle se joue à l'export, ce qui suppose aussi de l'innovation et donc une meilleure liaison entre l'université et l'industrie, ce qui suppose de réformer l'université. Pour ces efforts, il faut dégager des marges de manoeuvre financières. Elles se trouvent dans la réduction de la masse salariale de l'Etat :  redéfinir les missions de l'Etat et de ses fonctionnaires, en réduire le nombre, en réformer les régimes de retraite et cesser de différer en laissant filer la dette. Evidemment chacun va voir midi à sa porte. Le politique donne-t-il le sentiment du courage et du souci de répartir l'effort de telle manière que tous restent sujets dans une société pluraliste où l'on soit attentif à la cohésion et la régulation de la conflictualité ?  Dans une phase historique où la complexité règne : l'appropriation de la plus value devient une affaire où la logique générationnelle supplante la logique sociale. (Concrètement, en gros, les vieux confisquent la richesse au détriment des plus jeunes, avec tous les jeux de la diversité sociale à l'intérieur de cette logique générationnelle devenant globale et surdéterminante). Quelle est la logique prévisible des acteurs ? Etc

Je dois dire que je n'entends pas formuler de projet global. Je trouve le vide à gauche ou la défense des bénéficiaires du temps de la modernité (en gros, le PS comme parti des fonctionnaires et des bobos). Je trouve à droite un président qui semble n'avoir pour programme que la vision de la société que promeuvent les habitants aisés de Neuilly sur Seine. Je ne vois que l'affrontement des conservatismes égoïstes,  rien qui fasse déboucher politiquement la protestation de ceux qui se retrouvent victimes de l'évolution économique et démographique. (Certains ont compris que la violence ou des coups médiatiques pouvaient être des moteurs. Mais on ne peut pas vivre durablement dans la guerre sociale à bas bruit !). Je ne vois pas émerger de nouvelles formes de régulation, autres que l'idéologie sécuritaire et la réduction des libertés publiques...

Il n'en demeure pas moins que c'est sur la base de ces analyses et de ces valeurs, que j'essaie de conduire ma vie personnelle, envers mon conjoint, mes enfants, les personnes qu'il m'est donné de croiser. C'est aussi dans le dialogue et l'échange que se construisent valeurs et représentations. Ceci pour ne pas se laisser aller à l'aigreur, le pessimisme ou la régression dans la marche à la pulsion.

Mais je reste dans l'attente vis à vis des politiques. Qu'ils confrontent leurs analyse aux valeurs et proposent enfin un nouveau projet de  société qui s'ancre dans le réel et ouvre un avenir. Alors, le langage pour le dire se créera de lui-même. Et pour le coup, la réinstitution imaginaire de la société la fera advenir.

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27 août 2007

référence de l'article de Libération

Je n'arrive pas à retrouver cet article sur Libération, pourriez-vous en indiquer le lien, svp? D'avance merci.

La référence de l’article est : http://www.liberation.fr/rebonds/272691.FR.php

26 août 2007

Le glissement du langage, (2)

Seul est maîtrisable ce qui peut se raconter, dans le cadre d’une intrigue, cette intrigue fut elle la description du monde dans lequel nous entrons. Cette aporie signifie que le langage et la conceptualité qu’il véhicule ont un rôle déterminant, dans la mesure où il crée le monde, quand bien même celui-ci existe aussi autour de nous, comme un continent obscur dont la réalité n’est jamais épuisée par l’investigation.

Evidemment, si nous décrivons le monde d’aujourd’hui avec le langage d’un autre temps et d’un autre monde, nos perceptions et notre compréhension sont biaisées, partielles et surtout ne permettent pas de penser une action sur le monde. Soit on reste au niveau d’un discours qui devient scolastique ou rituel, soit l’on provoque des catastrophes. Le risque est encore plus grand si au fond de soi on refuse le monde nouveau et que l’on cultive la nostalgie d’un temps révolu.

Je crois que la crise morale et politique que nous traversons est, pour partie, liée à une crise du langage. Le langage politique reste teinté d’idéologies (à droite et encore plus à gauche) devenues sans prise sur le réel. Pour que le discours politique reprenne pied face à la logique macro économique qui nous est vendue comme inéluctable et quasi « naturelle », il lui faut retrouver un langage qui permette de rendre compte du réel, du phénomène social total dans son évolution globale et avec ses diverses composantes. Il faut retrouver un langage qui permette de penser la complexité, mais aussi –pour fonder un projet politique- le rapport aux valeurs. Cela vaut aussi pour la vie individuelle et les relations avec ce qui est proche. Souvent nous ne comprenons pas ce qui se passe et nous psychologisons des situations qui résultent d’évolutions psycho sociales plus générales et nous avons de la peine à trouver des repères pour fonder nos comportements.

A cet égard, les églises sont aussi en train de faillir à leur mission. Le langage employé pour dire Dieu et le salut sont en relation directe avec le paradigme ou les paradigmes du moment dans une société donnée. Et le constat récurrent est que l’Eglise a toujours au moins un paradigme de retard. Dietrich BONHOEFFER, déjà, dans les années quarante avait perçu le problème. Dans une lettre du 30 avril 1944, il écrit  :

« La question de savoir ce qu’est le christianisme et qui est le Christ pour nous aujourd’hui, me préoccupe constamment. Le temps où l’on pouvait tout dire aux hommes, par des paroles théologiques ou pieuses, est passé, comme le temps de l’intériorité et de la conscience, c’est à dire le temps de la religion en général. Nous allons au devant d’une époque totalement irréligieuse ; tels qu’ils sont, les hommes ne peuvent tout simplement plus être religieux ;….

Si, finalement, nous devons considérer la forme occidentale du christianisme comme le porche d’une irréligiosité complète, quelle situation en résulterait pour nous, pour l’Eglise ?...Comment parler de Dieu sans religion, c’est à dire sans le donné préalable et contingent de la métaphysique, de l’intériorité, etc. ? »

in Résistance et Soumission , Lettres et notes de captivité, Labor et Fides, Genève, 1973, page 288.

Sur les registres sociologiques et politiques, il fut un temps où parler de classes sociales et de lutte des classes avait du sens pour rendre compte du phénomène social total. De même ce que DONZELOT appelle « l’invention du social » comme dynamique de dépassement de la conflictualité. Aujourd’hui, les concepts manquent pour décrire le phénomène social total et anticiper la marche de l’histoire. Dans ce contexte, tous les risques de comportements régressifs et d’exacerbation de la violence sociale se déploient, doublés d’un langage qui développe des slogans de plus en plus normatifs. Pour être éventuellement en phase avec l’opinion, et en tirer popularité, le vibrionisme interventioniste tous azimuts de l’actuel président est une forme régressive de communication politique. Il ne donne pas à penser la complexité et il masque la révolution conservatrice qui se met en place. La situation est d’autant plus délicate que la vacuité intellectuelle de la gauche ne lui suscite aucune opposition crédible. Alors que penser ? Et même comment penser ?

17 août 2007

Le glissement du langage

Un article de la rubrique « Rebond » du journal Libération du vendredi 17 août, attire l’attention sur la question du langage, et plus précisément du glissement du langage, de son évolution. Cet article est dû à Stéphane Palazzi, pédopsychiatre, praticien hospitalier. Il concerne la nouvelle manière de parler de l’enfance, dans la bouche du nouveau président de la république, une manière simplificatrice, révélatrice de représentations idéologiques : l’identification du législateur à la victime (à mon sens argument démagogique qui va à la rencontre de la peur dans une France qui vieillit), la montée en puissance du « tout génétique », le recul corrélatif de la prise en compte de la complexité sociale et le renoncement aux tentatives de régulations en référence à des valeurs et un projet de société, la logique classificatoire de plus en plus binaire qui s’ensuit. Le journal surtitrait ainsi l’article : « La rhétorique de Nicolas Sarkozy, sous prétexte de bon sens, ne parle plus du monde réel ». Ce qui, indépendamment du coup de pied dans les tibias du président, est assez juste.

Il convient de nous rappeler quelques considérations de base sur le langage. Tout d’abord, le réel n’existe pas en dehors du langage par lequel nous le percevons. Supposons une table en bois, pour les besoins de cette illustration. L’ergonome jugera de ses dimensions pour y travailler. Le dendrochronologiste nous racontera l’âge de l’arbre quand il a été abattu, le menuisier nous racontera les forces et les faiblesses des assemblages. Le commerçant parlera du circuit de transport du bois s’il est importé et de la distribution de la table dans le circuit commercial. Un écologiste parlera du coût énergétique de la table, des conséquences de la déforestation sauvage où l’arbre a été coupé. En un mot, la réalité de la table ne sera jamais totalisable. Un nouvel intervenant peut à tout instant en enrichir la perception. Le réel est complexe et nous échappera toujours.

Dans la pratique, une vision communément reçue de la table existe cependant. Elle est la conséquence des rapports de pouvoir qui existent entre ceux qui en parlent et les représentations et valeurs générales à l’œuvre dans la société globale. Cette vision commune est instable et évolutive. Elle est, comme tout « discours sur », pétrie d’idéologie. Corrélativement, certaines visions de la table ne parviendront pas à exister dans l’espace public, du moins pour un temps.

Le langage, dont il est souhaitable qu’il soit pluriel, est des manières de dire le monde et de le mettre en séquence narrative. Car c’est une autre caractéristique du langage. Ce qui est décrit sans être relié à rien n’a pas de sens. Une chose existe parce qu’elle est un élément d’une mise en intrigue, d’une narrativisation. Quand le monde change, comme c’est le cas aujourd’hui, c’est alors tout le langage qui glisse, les représentations dominantes et les discours qui évoluent.

Dans l’entre deux historique que traverse à reculons la société française, le langage traverse une sorte de zone d’incertitude, à la faveur de laquelle tous les coups de force idéologiques sont possibles. Concrètement, l’invention de slogans (travailler plus pour gagner plus), fait l’économie de l’analyse de la complexité, de l’énoncé loyal d’un projet politique (soit que l’on en masque les contours soit qu’on se dispense de penser). Le bon sens est la pire des choses en situation de crise et de complexité. La mobilisation de tout un appareil communicationnel pour nous faire entrer dans la logique de bon sens, d’une pseudo morale ou de quelque vision simplificatrice que ce soit est un délit politique. Le réveil ne saurait être que brutal à un moment ou un autre.

12 août 2007

Bonne nouvelle

Bonne nouvelle

Limoges, un Togolais de 36 ans, en situation irrégulière sous le coup d'une reconduite à la frontière, a été remis en liberté le 1er août. Le juge des libertés et de la détention (JLD) n'a pas prolongé sa rétention et a condamné Evelyne Ratte, en sa qualité de préfet du département, à une amende civile de 1 500 euros pour "recours à la justice manifestement abusif". Une décision rare.

Hélène Pommier, extrait d’un article paru dans l'édition du 10.08.07 du Monde

La question,dans ce blog, est de construire une lecture théologique de l’événement. Comme protestant, je suis attentif à la notion d’individu comme sujet envers lequel la collectivité, à travers les détenteurs de la force publique en particulier, a des obligations de comportement. L’autre n’est pas une chose. La seconde valeur est la notion de pluralisme. Elle est le corollaire de la prééminence du sujet et pose la question du minimum qui permet de vivre ensemble. Ce n’est pas notre propos ici. La troisième valeur est celle de cohésion sociale. Elle est la résultante des deux précédentes. Toutes ces valeurs ont des fondements bibliques et peuvent faire l’objet d’un discours théologique cohérent.

Force est, dans le cas des interpellations d’étrangers en situation irrégulière, d’observer la récurrence des bavures. Celles-ci ne concernent pas seulement les étrangers, mais signalent la dégradation des rapports de la police et des citoyens. La police, dans une mission et une logique qui ressemble plus à la défense de l’apparence d’ordre public et d’autorité de l’Etat qu’au service et à la protection des citoyens, a tendance à faire de l’espace urbain un espace de guérilla potentielle. Certains le lui rendent bien. Ce qui n’arrange rien. Autre signal d’alarme que la multiplication des procédures pour « outrage et rébellion » quand le citoyen s’indigne, procédures le plus souvent entérinées par des juges qui ont besoin de la police par ailleurs, ce qui n’arrange rien non plus.

Dans le cas des étrangers, l’étiologie des bavures forme un ensemble foisonnant. Sur le terrain, des « bleus » endoctrinés dans leurs centres de formation et insuffisamment encadrés ensuite par un corps d’officiers guère différents. Des services des étrangers en préfecture difficiles par la presse du public, les problèmes de langue et les tensions, doublés d’une complexité juridique : la France n’a pas deux conventions bilatérales identiques ; des services vécus comme des services disciplinaires où peu se retrouvent par choix, des services parfois corrompus. Une haute fonction publique qui demeure largement maurrassienne : voir le rapport Belorgey d’il y a quelques années sur le racisme dans l’administration. Une décolonisation encore mal digérée, une confrontation brutale de l’universalisme cocardier à la mondialisation…Etc Bref, une série de « paliers en profondeur », selon la terminologie du sociologue Georges Gurvitch. Des paliers en profondeur dont le plus profond est peut être de nature anthropologique : la haine du cygne par la couvée de canards : le rejet du non semblable à soi étranger, handicapé, exclu…

Du point de vue de la construction de la question comme question théologique, la démarche ne s’arrête pas à une lecture et un jugement en fonction de valeurs procédant de la Bible et de la tradition théologique, ici protestante.

La question devient une question sotériologique, c’est à dire qui concerne le salut, quand la personne est déniée comme sujet et que la cohésion sociale s’en trouve gravement menacée, avec un risque de régression dans la barbarie. La question sotériologique appelle une réponse christologique et un engagement radical. Nous commençons à nous approcher d’une question sotériologique. L’étranger a tendance à être essentialisé, c’est à dire réduit à l’un ou l’autre de ses caractères et perçu de manière négative à travers lui. Ethnocentrisme français, discrimination et exclusion tendent à faire des questions sociales des problèmes raciaux. Le tout dans une France qui vieillit et se replie sur elle-même.

Il y a donc lieu de se réjouir du courage du juge qui a porté le fer dans la plaie.

9 août 2007

« Dans le Seigneur »

L’apôtre Paul a traduit la manière dont « l’être en Christ » des divers protagonistes de la vie familiale vient dépasser, transcender, les structures sociales et les rôles que chacun est appelé à jouer. « En Christ », les modalités des relations conjugales, dans la culture grecque de son temps, sont renouvelées par la manière dont chacun répond à la réquisition éthique d’avoir à faire ce qu’il faut pour que l’autre vive. Dans 1 Corinthiens chapitre 7, dans Ephésiens 4 et Colossiens 3, c’est la même perspective qui revient quand il s’adresse aux divers protagonistes : femmes et maris, enfants et parents, esclaves et maîtres.

« Femmes soyez soumises à vos maris dans le Seigneur, maris aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise, jusqu’à donner sa vie pour elle. Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur. Parents ne révoltez pas vos enfants, mais pour les élever ayez recours à la discipline et aux conseils qui viennent du Seigneur. Esclaves, obéissez à vos maîtres d’ici bas, d’un cœur simple, comme au Christ. Et vous maîtres, faites de même à leur égard ». Je résume ici Ephésiens 5 et 6.

Ce dépassement des relations antérieures s’adresse aux « maisons » où le chef de famille et sa famille ont décidé d’adhérer au Christ. L’apôtre évoque ailleurs le cas des conjoints ou des maîtres qui ne sont pas passés au christianisme. Il faut encore préciser que l’apôtre, tout à l’attente imminente du retour du Christ et du royaume de Dieu déclare inutile de vouloir changer de condition.

Dans la vie sociale, et au premier chef dans les assemblées chrétiennes, ce dépassement débouche sur la contestation de l’ordre social, à Corinthe en particulier. Et Paul semble pris dans une tension entre les conséquences du dépassement des relations :

« en Christ il n’y a plus ni homme ni femme, ni juif ni grec, ni esclave ni libre, mais tous sont un en Christ ».

et des préoccupations d’ordre et de structuration des communautés naissantes. Tout un « féminisme » avant l’heure se développe, que Paul rappelle furieusement à l’ordre. Il n’est pas exclu non plus que l’ancien rabbin qu’il était, avec la vision de la femme dans laquelle il a été élevé, n’ai accentué le fait de s’effrayer des conséquences de ses propres positions théologiques chrétiennes. De là, un certain nombre de propos qui sonnent mal à nos oreilles contemporaines.

Dès lors, si l’on tronque la lecture en supprimant le « dans le Seigneur » qui la conditionne, on trouve argument à un ordre bourgeois et patriarcal qui fait de la femme, de l’enfant et de l’employé des sujets soumis. Ce qui n’est pas le sens du texte. De la même manière, si l’on tronque la lecture en décontextualisant le texte, on fait de Paul et du christianisme la source de toute oppression. Ce qui n’est pas non plus le sens du texte.

En réalité c’est tout le contraire qui est posé, si l’on veut bien considérer quel était le statut de la femme et de l’enfant qui étaient mineurs du chef de famille, et souvent de l’esclave qui était chose (soumise à l’usus et l’abusus chez les Romains) de son maître. C’est toute une subversion de l’ordre social que pose le christianisme.

Reste alors pour nous une question : en quoi ce texte nous concerne-t-il ? Comment le transculturer pour aujourd’hui ? Comment en faire application dans nos vies.

Je crois que pour les couples d’aujourd’hui, et pour l’aujourd’hui des couples, le « dans le Seigneur » se joue dans une attitude générale d’ouverture et du souci de l’autre. Il se joue aussi dans une discipline spirituelle par laquelle les conjoints prennent le temps de parler et d’échanger à partir de l’Evangile, pour construire une socle de valeurs communes et une vision commune de la vie. Cette discipline vaut par sa régularité et l’éthos culturel et spirituel qu’elle contribue à construire et faire évoluer.

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