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Le blog du pasteur
18 septembre 2007

Monsieur Kouchner et l'Iran

L’apocalyptique est une composante de l’imaginaire tant chrétien que musulman A ce titre, comme à bien d’autres, et quoi qu’ils en disent, les pays de culture musulmane cousinent avec l’Occident. Enracinées dans l’apocalyptique messianique juive, la théologie des uns attend le retour du Christ comme la théologie des autres attend celle du Mahdi.

 

L’apocalyptique est fille du prophétisme biblique et de son attente de justice sociale. Elle est aussi fille de

la Sagesse

de l’Orient et de sa méditation sur la grandeur et la décadence des empires. A ce double titre, elle décrit un état idéal, céleste et théocratique, de la société et du monde, dont elle soupire après l’advenue. « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » explicite le Notre Père. L’apocalyptique structure la conception du temps des trois religions. Il n’est plus ni amorphe ni cyclique, mais doté d’une tension qui donne sens à l’histoire.

 

Le christianisme connaît une apocalyptique dont les traits principaux sont

la Parousie

(le retour du Christ), précédée de guerres et de conflits qui rassembleront les nations à Harmaguédon, le règne des mille ans, l’Antéchrist, le jugement dernier. La plupart du temps, notre rapport à l’apocalyptique et ses composantes est passif. La référence à la fin des temps est certes inscrite dans le credo : « Il viendra de là pour juger les vivants et les morts ». Mais nous ne sommes pas pressés…

 

Cependant, il existe des « moments apocalyptiques ». Quand le sentiment de l’oppression, culturelle, politique et économique, est tel que l’agressivité consubstantielle à l’homme ne peut plus s’exercer sur son environnement pour le transformer, l’agressivité se mue en violence, une violence aveugle, contre soi même, contre les autres et contre le monde. Dans le même temps, une institution imaginaire d’un monde autre, surgissant des décombres de l’ancien, nourrie de transcendance divine, se répand. Les scénarios apocalyptiques deviennent le cadre interprétatif des événements historiques. Quand ils arrivent à maturité, les moments apocalyptiques sont toujours d’une violence extrême, sans sortie possible par la négociation. Ils sont de nature totalitaire. L’affrontement est inexpiable.

 

Le christianisme connaît l’Apocalypse de Jean, avec sa protestation cryptée. Elle décrit Ephèse, parle symboliquement de le Grande Babylone pour viser Rome. Elle décrit un scénario de la victoire des justes et de la fin des temps.

 

Quand Luther revient écœuré de son voyage à Rome, il parle de Rome comme de

la Grande Babylone

et du Pape comme de l’Antéchrist.  Par ailleurs,

la Réforme

radicale représente un tel moment, avec Thomas Müntzer et la guerre des paysans, ou Jean de Leyde ou Melchior Hoffmann et la révolte du petit peuple des villes contre le patriciat urbain.

 

De manière plus passive, la mouvance évangélique a remis en selle une vision apocalyptique de l’histoire. La traduction de

la Bible

de Darby, puis les commentaires de Scoffield, au milieu du XIX ème siècle, ont réintroduit une vision téléologique de l’histoire, périodisée en « dispensations ». Il convient de repérer dans quelle dispensation l’on se trouve, par rapport à une marche de l’histoire activement engagée dans la fin des temps.  Le grand héritage de ce courant est moins en Europe qu’aux Etats Unis où la mouvance évangélique est puissante. Il s’agit des « chrétiens sionistes », puissant lobby et soutien inconditionnel d’Israël, car la reconstitution de l’Etat d’Israël s’inscrit dans le scénario de la fin des temps.

 

De son côté, au XX ème siècle, l’Europe a connu des messianismes sécularisés, de la rédemption du monde par la classe ouvrière à la victoire de la race aryenne et l’instauration du Reich des mille ans. On sait ce qu’il en advint. Ainsi, l’apocalyptique est une composante structurante de l’institution imaginaire de l’Occident, jusque dans ses visions sécularistes, voire antichrétiennes. C’est un héritage de l’Ancien Testament qui vaut aussi pour son autre héritier, l’Islam.

 

***

Le Coran ne dit presque rien de la fin du monde. Par contre, les hadiths ou propos du Prophète, regorgent de notations. Mahomet a expliqué lui même à ses disciples qu’il développait une vision de la fin des temps inspirée de celle des chrétiens. Cependant, les hadith sur l’eschatologie constituent une somme de notations qui n’ont pas été mises en séquence narrative, contrairement au christianisme. Chaque secte de l’islam, dans le sunnisme comme dans le chiisme, a développé ses variantes eschatologiques. Si la figure du Mahdi est centrale, les autres aspects connaissent une grande variabilité.

 

Au jour du jugement Allah ressuscitera les morts et accueillera les fidèles en Paradis, tandis qu’il enverra mécréants et infidèles en enfer. Certains disciples proches du Prophète pensaient même que la fin du monde arriverait de leur vivant. Les hadith évoquent une figure messianique, le Mahdi. Sa venue précédera le retour du Christ sur la terre. Ce dernier combattra l’Antéchrist. Jésus et le Mahdi cohabiteront un certain temps avant le décès du premier, rendu à sa nature humaine et converti à la foi musulmane, ultime étape de

la Révélation. Le

Mahdi sera un descendant du Prophète.

 

Les hadith évoquent encore pêle-mêle : la bête qui monte de l’abîme, Gog et Magog, anges et trompettes, guerres et fléaux…

 

On sait que le schisme chiite naquit de la guerre de succession dans la famille de Mahomet. Mouvement opprimé, le chiisme allait développer des particularités relatives à la fin des temps. Pour la majorité des chiites, dits duodécimains, le douzième imam, « occulté », c’est à dire disparu, en 874 doit revenir sur terre et précéder le Mahdi. Il reviendra dans une période particulièrement troublée et marquée d’un certain nombre de signes. Pour les chiites ismaéliens, minoritaires, cet imam, lui aussi disparu, mais un siècle plus tôt, n’est pas le douzième, mais le septième. Il est le Mahdi lui-même dont ils attendent le retour.

 

Il convient de replacer ces scénarios dans la logique générale de l’islam, qui est très différente de la logique du christianisme. Comme le christianisme, l’islam a vocation à devenir universel. Mais il l’a été sur le mode de la conquête. Il ne s’agit pas, comme dans le christianisme de prêcher, pacifiquement, l’Evangile jusqu’aux extrémités du monde, mais de conquérir le monde pour lui imposer l’islam. A la fin des temps, les chrétiens auront le choix entre la conversion ou la mort. Pour les Juifs, (et cette position résulte d’un refus essuyé par Mahomet de voir les tribus juives d’Arabie se convertir à la nouvelle religion), c’est l’extermination. Le Prophète en donna d’ailleurs une illustration prémonitoire par les massacres qu’il ordonna après la victoire du puits de Badr et par la suite. Et tel hadith rend compte du débat qui surgit de savoir par où commencer la conquête Constantinople ou « l’Europe » ? (Bien entendu, comme pour le catholicisme, il convient de distinguer ce qu’enseignent les théologiens et ce que sont, font et pensent les intéressés. Je ne voudrais pas que cet article donne à penser que j’essentialise l’Autre).

 

L’islam a développé une géographie propre, où le monde est divisé en maison de l’islam d’un côté et maison de la guerre de l’autre. A la fin du XIX ème siècle, un sultan et calife ottoman fut déposé pour s’être rendu en voyage officiel en Europe ! De ce point de vue, le monde musulman allait ressentir la présence infidèle comme une humiliation. Les croisades y furent un traumatisme, puis la colonisation. La victoire d’Israël en 1948 est qualifiée de Naqba, catastrophe, inacceptable non seulement à cause du problème des réfugiés qu’elle généra, mais par l’existence même de l’impie en terre d’islam. La victoire d’Israël en 1967, à l’occasion de la guerre des six jours fut à nouveau ressentie comme une terrible humiliation. On se souviendra aussi que la première protestation d’Oussama ben Laden se fit sur le fait de la présence de troupes américaines sur une terre d’islam.

 

Dans les années soixante, les partis et les régimes dits laïcs, échouèrent tout à la fois à transformer les sociétés du monde arabo musulman, et à vaincre Israël, non plus qu’à contrer la domination culturelle et économique de l’Occident. La religion, puis le fondamentalisme islamique devinrent alors le refuge et la consolation des esprits. Or, dans la tradition théologique musulmane, le combat, le djihad, contre soi d’abord, est le lieu de la purification. Des activistes développèrent alors un affrontement asymétrique, non pas d’état à état, mais de partis ayant leur branche militaire, contre l’état, les leurs, ceux des régimes arabes corrompus et despotiques et les états occidentaux. Ce fut le début du terrorisme islamiste. On notera que c’est un terrorisme sans projet politique, uniquement protestataire et destructeur. Difficile alors de négocier quoi que ce soit qui dépasse la police des mœurs.

 

Un certain nombre de symptômes signalent la montée de la fièvre apocalyptique dans des populations paupérisées et dominées. La théorie du complot est le premier symptôme. Le « grand Satan », l’Amérique, et le « petit Satan », Israël, sont à la tête du complot occidental contre l’islam.

 

Le président iranien s’inscrit aujourd’hui dans la vision apocalyptique. Pratiquement jamais sorti d’Iran, ancien responsable parmi les gardiens de la révolution, il est soupçonné dans son pays de faire secrètement partie d’une secte apocalyptique qui pratique l’entrisme dans les institutions mêmes des mollah et de l’état. Ce sont là des causes supplémentaires qui éclairent la composante apocalyptique dans une révolution iranienne dans l’impasse économique et politique, et la répression.

 

C’est pourquoi, il convient de prendre ce monsieur au pied de la lettre quand il fait de l’éradication d’Israël le pivot de sa politique étrangère. L’émergence de l’Iran comme puissance régionale lui assigne une mission particulière dans le cadre du scénario eschatologique. La politique nucléaire s’inscrit dans cette logique. Il n’y a par ailleurs, dans ce cadre aucune validité à attacher aux propos des négociateurs iraniens qui soufflent alternativement le chaud et le froid. Et des sanctions internationales, si elles adviennent, laisseront de marbre des dirigeants iraniens déjà sous embargo américain. Elles serviront d’argument au registre du complot contre l’islam.

 

En fait, c’est à terme une logique de conflagration que développent les nouveaux dirigeants iraniens : préparer le retour de l’imam caché et l’apparition du Mahdi. Le nucléaire en sera l’un des moyens, comme bombe sur un vecteur à longue portée contre Israël, voire l’Europe, ou comme bombe sale du terrorisme. Faute d’intégrer cette logique dans ses rapports avec l’Iran et d’en tirer les conséquences, la « communauté » internationale risque de payer un jour le prix fort.

 

***

La conséquence de cette analyse à partir du fait religieux me semble la suivante. Rejeter la compréhension de ce type de mécanismes psycho sociaux parce qu’ils n’entrent pas dans nos mécanismes de pensée réputés rationnels est une grave erreur de jugement. Nous sommes tentés de la commettre au motif que nous serions des gens rationnels, émancipés de tout fonctionnement de type religieux, et qu’il n’y aurait là qu’obscurantisme passéiste dont nous pourrions faire fi.

 

Une telle précompréhension, un tel préjugé, à l’égard du fonctionnement d’une culture sur le mode d’une religion révélée, nous empêche de comprendre ce qui se passe dans l’ensemble du monde musulman et au Moyen Orient. L’imaginaire de ce monde réactive une apocalyptique qui ici ou là dérive vers un « moment apocalyptique ». L’apocalyptique y devient de plus en plus le cadre de perception des événements et la rhétorique apocalyptique une modalité croissante du discours. D’autant plus que ce monde ignore la distinction entre le religieux et le politique et que les partis laïcs des années soixante ont échoué à le transformer.

 

Dès lors, il conviendrait de cesser de parler de guerre, tout en la préparant, et savoir que s’il faut se résoudre à cette extrémité pour se protéger du risque de l’usage de l’arme nucléaire par un régime insensé (les Israéliens risquent d’ailleurs de ne pas nous attendre pour cela), il faudra frapper très fort et renvoyer l’Iran à l’âge de pierre, assumer la pénurie de pétrole et la prise fait et cause des populations musulmanes partout dans le monde, avec des déstabilisations en chaîne. Cette option, s’il faut s’y résoudre, déclenchera véritablement l’apocalypse, au sens commun du terme. Les sanctions économiques sont la version « très soft » de cette attitude, mais elles sont sans effets sur les dirigeants. Au contraire, elles les renforcent et justifient leur discours sur le complot contre l’islam.

 

La moins mauvaise solution me semble consister dans le fait de considérer l’Iran comme sujet. Recevoir ses dirigeants sans être dupes de leurs discours, multiplier les échanges et tout ce qui frotte positivement ce pays à notre post modernité, faire au mieux pour que le niveau de vie des habitants remonte et aider à la constitution d’une opinion publique pour que les fous au pouvoir ne tirent pas le bénéfice politique des améliorations, et globalement, tenter d’enrayer la course au « moment apocalyptique » dans laquelle nous sommes engagés, car les gens qui ont Dieu avec eux ont encore une particularité : dans ces moments-là, ils sont sourds.

 

C’est pourquoi, monsieur Kouchner, taisez-vous.

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