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Le blog du pasteur
17 août 2007

Le glissement du langage

Un article de la rubrique « Rebond » du journal Libération du vendredi 17 août, attire l’attention sur la question du langage, et plus précisément du glissement du langage, de son évolution. Cet article est dû à Stéphane Palazzi, pédopsychiatre, praticien hospitalier. Il concerne la nouvelle manière de parler de l’enfance, dans la bouche du nouveau président de la république, une manière simplificatrice, révélatrice de représentations idéologiques : l’identification du législateur à la victime (à mon sens argument démagogique qui va à la rencontre de la peur dans une France qui vieillit), la montée en puissance du « tout génétique », le recul corrélatif de la prise en compte de la complexité sociale et le renoncement aux tentatives de régulations en référence à des valeurs et un projet de société, la logique classificatoire de plus en plus binaire qui s’ensuit. Le journal surtitrait ainsi l’article : « La rhétorique de Nicolas Sarkozy, sous prétexte de bon sens, ne parle plus du monde réel ». Ce qui, indépendamment du coup de pied dans les tibias du président, est assez juste.

Il convient de nous rappeler quelques considérations de base sur le langage. Tout d’abord, le réel n’existe pas en dehors du langage par lequel nous le percevons. Supposons une table en bois, pour les besoins de cette illustration. L’ergonome jugera de ses dimensions pour y travailler. Le dendrochronologiste nous racontera l’âge de l’arbre quand il a été abattu, le menuisier nous racontera les forces et les faiblesses des assemblages. Le commerçant parlera du circuit de transport du bois s’il est importé et de la distribution de la table dans le circuit commercial. Un écologiste parlera du coût énergétique de la table, des conséquences de la déforestation sauvage où l’arbre a été coupé. En un mot, la réalité de la table ne sera jamais totalisable. Un nouvel intervenant peut à tout instant en enrichir la perception. Le réel est complexe et nous échappera toujours.

Dans la pratique, une vision communément reçue de la table existe cependant. Elle est la conséquence des rapports de pouvoir qui existent entre ceux qui en parlent et les représentations et valeurs générales à l’œuvre dans la société globale. Cette vision commune est instable et évolutive. Elle est, comme tout « discours sur », pétrie d’idéologie. Corrélativement, certaines visions de la table ne parviendront pas à exister dans l’espace public, du moins pour un temps.

Le langage, dont il est souhaitable qu’il soit pluriel, est des manières de dire le monde et de le mettre en séquence narrative. Car c’est une autre caractéristique du langage. Ce qui est décrit sans être relié à rien n’a pas de sens. Une chose existe parce qu’elle est un élément d’une mise en intrigue, d’une narrativisation. Quand le monde change, comme c’est le cas aujourd’hui, c’est alors tout le langage qui glisse, les représentations dominantes et les discours qui évoluent.

Dans l’entre deux historique que traverse à reculons la société française, le langage traverse une sorte de zone d’incertitude, à la faveur de laquelle tous les coups de force idéologiques sont possibles. Concrètement, l’invention de slogans (travailler plus pour gagner plus), fait l’économie de l’analyse de la complexité, de l’énoncé loyal d’un projet politique (soit que l’on en masque les contours soit qu’on se dispense de penser). Le bon sens est la pire des choses en situation de crise et de complexité. La mobilisation de tout un appareil communicationnel pour nous faire entrer dans la logique de bon sens, d’une pseudo morale ou de quelque vision simplificatrice que ce soit est un délit politique. Le réveil ne saurait être que brutal à un moment ou un autre.

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Commentaires
H
Je n'arrive pas à retrouver cet article sur Libération, pourriez-vous en indiquer le lien, svp? D'avance merci.
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